Mise en garde auprès des lecteurs :Il faut lire ce rapport médico-légal avec un regard technique, il permet de connaître la façon dont les médecins du XIXe pratiquaient les autopsies.Si vous vous sentez une âme sensible, inutile de lire la suite...
Mercredi 8 décembre 1897,
Rapport médico-légal concernant l’individu Claudius Beaupied par le Dr. Jean Boyer
Je soussigné Jean Boyer, etc., me suis transporté ce même jour, à la Demi-Lune, le lendemain et jours suivants au Laboratoire de médecine légale de la Faculté, pour examiner les débris humains qui ont été retirés d’un puits de la maison Dalmais et qui paraissent être ceux d’un jeune homme tué par le nommé Vacher.
La réquisition de M. le juge d’instruction stipule que :“L’expert déterminera dans la mesure du possible, eu égard à toutes les circonstances certaines au préalable, le minimum et le maximum du temps qui paraît s’être écoulé depuis la mort. Il recherchera par tous les moyens les traces certaines ou probables de section ou de blessures paraissant avoir été faites sur le vivant ou à une époque contemporaine de la mort ; il déterminera le sexe, l’âge et la taille probable de l’individu dont les restes sont à examiner. Il relèvera minutieusement toutes les particularités quelconques qui seraient susceptibles d’aider à son identification.Il examinera les vêtements saisis dans la maison dont dépend le puits, il dira s’ils semblent pouvoir être ceux de l’individu trouvé dans le puits. Il recherchera dans toutes les taches de sang et aux particularités présentées par ces vêtements tout ce qui paraîtra correspondre à une lutte ou à des blessures ; enfin, il procédera à toutes constatations propres à la manifestation de la vérité.”
Croquis selon témoignage - Source Bibliothèque municipale de Lyon |
I- Débris Humains
1° Description. - Les débris qui ont été retirés de puits Dalmais consistent en différentes pièces du squelette dont voici l’énumération :29 vertèbres ; 23 côtes ou fausses-côtes ; 2 omoplates ; 1 bassin complet ; 2 humérus ; 2 radius ; 2 cubitus ; 9 os de la main, à savoir : un os crochu, 8 phalanges ; 2 fémurs ; 2 tibias ; 2 péronés ; 28 os du pied, à savoir : 2 astragales, 2 calcanéums, 1 os du tarse, un gros métatarsien, 2 premières phalanges du gros orteil, 14 métatarsiens ou phalanges des orteils.Le crâne avec un maxillaire inférieur.Le maxilaire inférieur présente à droite : 2 grosses molaires dont 1 carriée, 1 canine et 1 incisive, entre ses deux dents une alvéole effacée et un intervalle très apparent dans lequel on voit le bord tranchant de l’incisive inclinée obliquement vers la canine ;À gauche : la 2e grosse molaire ; à la place de la première une alvéole irrégulièrement excavée.Le trou mentonnier est très bas. L’angle formé par les deux branches mesure 140 degrés. Ceux sont là deux caractères de jeunesse très marqués. La plupart des os sont dépouillés des parties molles. Cependant les cuisses et les jambes sont encore recouvertes de masses en pleine décomposition arrivées à la quatrième période de la putréfaction et se présentant sous l’aspect du gras de cadavre adipocire.Dans ces masses saponifiées, on reconnaît encore des lames de peau friable, humide, chagrinée, granuleuse, blanchâtre et quelques vestiges de tissu musculaire lardacé.Les os sont concavés, quelques uns noirâtres. Les ligaments ont disparu. Les membres, les côtes, les vertèbres et le bassin sont désarticulés. Le cerveau est réduit à un petit volume d’une masse gris-verdâtre et fluide. Tous les autres viscères ont disparu.
2° Date de la mort. - L’état de décomposition de ce cadavre ne saurait fournir des renseignements très précis sur la date de la mort. Les premières phases sont soumises à de nombreuses variations et une fois détruits les viscères et les parties molles, la longue résistance du squelette ne permet plus de faire des calculs chronologiques.Cependant en tenant compte du milieu dans lequel la putréfaction s’est effectuée, de la température certainement peu élevée de ce milieu, malgré la saison d’été que nous venons de traverser ; étant donné que la production du gras de cadavre dans l’eau ne commence guère qu’à la fin du deuxième mois par le tissu cellulaire sous-cutané, que ce produit n’envahit et ne détruit le tissu musculaire qu’après le troisième mois ; étant donnée d’autre part, que les destructions massives des viscères et des parties molles et notamment des ligaments ne sont réalisées le plus souvent que vers le quatrième mois, on arrive à présumer que la mort peut remonter à une période comprise entre trois et quatre mois au minimum sans qu’on puisse fixer même approximativement un maximum.
3° Traces de blessure. - L’examen le plus minutieux de chacune des pièces du squelette et surtout des vertèbres cervicales et du crâne ne m’a permis de constater aucune section, aucune fracture, aucune trace de blessure.
4° Âge. - Les extrémités épiphysaires des os longs sont pour la plupart détachées, celles qui persistent sont nettement séparées de la diaphyse par une ligne très apparente d’ossification. Plusieurs pièces du squelette sont encore divisées en leur élément primitif de la vie foetale. C’est ainsi que j’ai noté le défaut de soudure des trois parties de l’os iliaque, de l’apophyse coracoïde de l’omoplate, du grand trochanter du fémur, de l’extrémité inférieure de l’humérus et des fémurs ; la non-ossification du calcanéum, l’absence des épiphyses du radius et de l’épiphyse supérieure d’un fémur.Ce sont là des indices caractéristiques démontrant que le développement du squelette est encore incomplet et n’a pas franchi les dernières phases. Bon nombre de ces soudures s’effectuent entre quinze et dix-huit ans. Mais il en est quelques-unes plus précoces. C’est ainsi que l’apophyse coracoïde est réunie à l’omoplate à l’âge de quinze ans, que l’extrémité inférieure du radius est soudée et les trois pièces de l’os iliaque réunies à quatorze ans.Or, ici elles ne l’étaient pas. L’individu dont le squelette a été retiré du puits de la Demi-Lune n’avait donc pas ou avait à peine quatorze ans.D’autre part, l’état de la dentition nous fournit un minimum d’âge. En effet, ses deux premières grosses molaires étaient sorties, ainsi que je l’ai signalé plus haut. Or, l’éruption de ces deux dents a lieu de douze à quatorze ans. Il avait donc au moins douze ans.Donc l’âge de ce sujet devait être compris entre douze et quatorze ans.
5° Taille. - Pour reconstituer la taille, j’ai pratiqué sur la planche ostéométrique de Broca la mensuration des os longs, en faisant aussi exactement que possible, par les comparaisons, l’équivalence des épiphyses absentes. J’ai ensuite rapporté les longueurs aux moyennes des tables de Rollet. J’ai obtenu les chiffres suivants:
Longueur Tailles correspondantes
Fémur 40,5 de 1m48 à 1m50
Tibias 32 de 1m45 à 1m47Péroné 29,5 de 1m35 à 1m37Humérus 28 de 1m41 à 1m45Radius 19 de 1m30 à 1m36Cubitus 21 de 1m34 à 1m39Totaux 8,33 8,54Moyenne 8,33/6 = 1,388,54/6 = 1,42
D’où il résulte que la taille de l’individu était comprise entre 1m38 et 1m42. Cette taille pouvait naturellement se rapporter à l’âge indiqué ; j’ai pu, dès les premiers jours de mon expertise, communiquer ces deux résultats à M. le juge d’instruction. J’ajoute que ces deux données d’une part, et d’autre part la conformation particulière des dents du maxillaire inférieur, la déviation de l’incisive inférieure gauche, l’intervalle triangulaire séparant cette incisive de la canine voisine ont été reconnus plus tard comme s’adaptant au signalement du jeune Beaupied.
6° Sexe. - Le squelette de l’enfant et de l’adolescent présente toujours des caractères féminins quel que soit le sexe réel, de même que le squelette du vieillard prend plutôt des caractères masculins ; à l’âge adulte seulement, le diagnostique est le plus souvent facile à établir. Je ne pouvais par conséquent fournir à ce sujet aucun renseignement utile.
II. - Vêtements
Voici une description résumée des vêtements qui ont été soumis à mon examen :
1° Une blouse à carreaux bleus et blancs se boutonnant en avant, longueur 76 centimètres, tour du cou 44 centimètres, longueur des manches 54 centimètres, une déchirure longitudinale du côté gauche sur une longueur de 30 centimètres, en bas et à gauche déchirure longitudinale du côté gauche, sur une longueur de 30 centimètres, en bas et à gauche déchirure triangulaire, au poignet déchirures irrégulières, déchirures peu étendues au milieu de la manche gauche et sur l’épaule gauche, bouton arraché au poignet droit. Taches de sang certaines au-dessous du col près de la déchirure, au-dessous de la quatrième boutonnière, au niveau des 7e et 8e boutons en avant.Taches probablement sanguines au-dessous de la déchirure transversale, dans la région dorsale, vers le tiers inférieur au bord inférieur en arrière, sur le devant à droite, sur la manche à droite. Taches probablement de matières fécales sur le revers en arrière.Taches de boue disséminées.
2° Gilet gris perle. - Hauteur prise sur la couture dorsale 50 centimètres, tour de taille pris au milieu du gilet, 82 centimètres, tous les boutons sont enlevés ; dans la poche gauche débris de tabac.Taches probablement sanguines en dedans du col, un peu à droite.
3° Gilet bleu. - Hauteur 52 centimètres. Tour de taille pris au milieu 85 centimètres. Ce gilet est donc un peu plus grand que le précédent. Il est en assez bon état. Taches de boue et de poussière sur le drap et la doublure. Taches de sang sur la doublure à droite près du revers, sur la doublure autour du col, sur la doublure en bas. Celles situées près du revers ont plutôt des caractères de taches d’essuiement. Un morceau de bougies dans la poche de montre, un bouton en métal blanc dans la poche droite.
4° Chemise à carreaux bleus et blancs présentant en bas et un peu en arrière un morceau rapporté à fond blanc et à raies rouges, longueur, non compris le col, 94 centimètres, tour de cou 38 centimètres. Longueur des manches 45 centimètres. Cette chemise est fendue au milieu, en avant jusqu’en bas ; elle est décousue à gauche. Taches probablement sanguines sur le plastron à gauche ; près du col taches certainement sanguines, au dos, vers le milieu, sur la manche gauche. Taches de boue et taches probablement végétales sur la manche gauche.Taches de matières fécales en arrière et en dedans, sur la peau, au même point un noyau de cerise.
5° Pantalon gris souris en mauvais état en partie rongé par les parasites ; bouton arraché en avant.Taches de sang sur la jambe droite, sur la doublure en dedans et en arrière au niveau des fesses.Taches probablement sanguines sur la jambe gauche en arrière, sur la jambe droite en bas et aux environs de la poche, dans la poche droite. Taches de boue et probablement taches végétales près de la jambe droite.Taches de matières fécales sur la doublure, en dedans, au niveau des fesses. Nombreux noyaux de cerise et couche épaisse de poussière dans la poche droite.
6° Béret bleu sombre, couvert de moisissures, de poussière et de quelques toiles d’araignée en dedans et en dehors, quelques taches rougeâtres suspectes, peut-être de nature sanguine.Diamètre 28 centimètres, tour de tête 0,55 centimètres.
7° Galoches à gros clous rouillés couvertes de moisissures.8° Un foulard encore noué, laissant une anse très grande, fond rouge rayé noir.
III.- Résumé
De cette description et de ces mensurations on peut déduire que les vêtements qui ont été trouvés dans la maison Dalmais ont pu appartenir à l’individu dont le squelette a été retiré du puits. Pour plus de précision, il eût été utile de faire endosser ces vêtements à un garçon du même âge et de la même taille.Mes constatations établissent, d’autre part, que le porteur de ces vêtements a été atteint d’un certain nombre de blessures et que quelques unes de ces blessures ont été produites dans la région postérieure au niveau des fesses, probablement dans la région anale.Ces constatations établissent enfin que le squelette retiré du puits appartenait à un individu de douze à quatorze ans, d’environ 1m40 de taille, et ayant succombé quatre mois auparavant.
IV. - Conclusions
1° Les débris humains retirés du puits de la maison Dalmais, à la Demi-Lune, ont appartenu à un individu âgé de douze à quatorze ans, mesurant de 1m38 à 1m42 de taille et dont le sexe ne pouvait être déterminé.
2° Il s’est écoulé depuis la mort au moins trois ou quatre mois.
3° En l’absence des parties molles de la tête, du cou et du tronc, il n’a pas été possible de retrouver des traces de blessures. Le squelette n’en présentait pas.
4° Sur les vêtements soumis à mon examen existaient des taches de sang assez nombreuses et assez caractérisées pour indiquer que le porteur de ces vêtements a été atteint de blessures multiples.
5° Il n’était pas possible de dire si il y a eu lutte et de déterminer les circonstances dans lesquelles les blessures ont été produites.
6° les vêtements en question ont pu appartenir à l’individu dont le squelette a été retiré du puits.
Lyon, le 8 décembre 1897.
Source : Vacher l’éventreur et les crimes sadiques par Alexandre Lacassagne - 1899 - A. Storck - B.M.L. Part-Dieu - Fonds ancien - Cote 427603.
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