Notre Dossier Joseph Vacher : le premier tueur en série des temps modernes
1897
Le crime de Tassin-la Demi-Lune
Se dirigeant vers le sud, Vacher n’avait pas voulu quitter l’Est de la France sans y commettre un nouveau crime. Le sanglant chemineau(1) avait fêté à sa façon le 1er Mai, à Vrécourt.
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Joseph Vacher lors de son incarcération - Source : Bibliothèque municipale Lyon |
Mais il ne pouvait séjourner plus longtemps dans la région. Deux assassinats en un mois dans le même département, c’était beaucoup. Vacher, passé maître dans l’art de dépister la justice, savait parfaitement qu’il n’était pas prudent de rester dans la Meuse. Il est vrai qu’il avait accompli ses lugubres exploits sur les limites de deux départements, la fuite était facile. Ses projets de voyage attiraient, d’ailleurs, plus loin l’éventreur. Suivant sa tactique habituelle, Vacher tenait à revoir les lieux où il avait semé l’horreur et l’effroi.
Après le crime du col de Malval(2), Vacher s’arrête quelque temps à Lyon. Mais la ville n’a que peu d’attraits pour ce coureur de grands chemins. Il la quitte promptement, passe à Vaise, suit la montée de la Demi-Lune(3) et prend la route de Bordeaux. Là, il fait la rencontre d’un jeune chemineau. Au bout de quelques instants, l’homme et l’enfant sont les meilleurs amis du monde.
Les voilà tous deux en quête d’un gîte pour la nuit.
Ils suivent les quelques prairies, tournent à droite par les Genetières(4) et appuient à gauche pour prendre le chemin d’intérêt commun du Point-du-Jour à Sainte-Consorce(5). Apercevant un bâtiment aux vitres cassées, aux murs qui s’écroulent, ce sont les restes de l’ancienne fabrique de colle Poly et Cie, ils songent un moment à s’y fixer. Vacher, cependant, ne trouve pas l’habitation assez confortable. Un peu plus loin, en face, une ferme paraissant abandonnée fera mieux l’affaire. Ils rôdent quelque temps autour ; puis, trouvant une brèche, dans la haie, ils entrent.
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Le puits de la ferme Dalmais où a été découvert le corps de Claudius Beaupied
Source : Bibliothèque municipale de Lyon |
La propriété(6), appartenant à Mme veuve Dalmais, se compose d’un grand corps de bâtiment et de deux hangars, le tout formant une grande cour rectangulaire au milieu de laquelle se trouve un puits ombragé de quelques arbres fruitiers. D’un côté, une haie serrée de sureaux et d’arbustes de forte taille présentent une ligne infranchissable ; de l’autre, une haie d’aubépines et d’églantiers garde la propriété du côté des champs. les autres côtés sont fermés par des murs et un grand portail. Là, Vacher ne sera pas dérangé.Les deux chemineaux, après un frugal repas, vont se coucher, sans doute fatigués par le temps lourd et orageux de la journée. Mais si son compagnon dort à poings fermés, Vacher, méfiant, repose les yeux ouverts et roule encore dans sa tête de sinistres projets.
À six heures du matin, après une nuit d’insomnie, n’y tenant plus, la bête féroce s’élance sur son compagnon endormi et lui tranche le cou avec un rasoir. Transportant aussitôt sa victime dans la cour près d’un petit cerisier, il la dépouille de ses vêtements, se livre sur elle à des actes immondes et, après avoir mutilé ce corps inerte, il le précipite dans le puits. Comme le cadavre surnageait, il jette de grosses pierres pour l’enfoncer complètement, va cacher les vêtements du malheureux sous l’escalier de l’habitation, dans un placard blanchi à la chaux, quitte la ferme et le pays après avoir écrit à la craie sur une porte de la propriété Fillon (route de Tassin) : “Le coupeur de têtes a passé par là - Canrobert.”
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Technique de re-photographie - Le puits de la ferme Dalmais hier et aujourd'hui - Journal Autrefois |
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Le 26 octobre 1897, vers neuf heures du matin, Mme Verdellet, habitant Saint-Genis, allait visiter la ferme Dalmais, avec l’intention de la louer. Ayant lu dans le journal Le Lyon républicain le description exacte que Vacher avait faite des lieux où il avait perpétré son dernier crime, il lui sembla que cette description s’appliquait d’une façon frappante à la ferme abandonnée et prévint M. Chabert, brigadier de gendarmerie à la Demi-Lune. Ce dernier, plein de zèle et de décision, court à la ferme, s’approche du puits et recule suffoqué par l’odeur nauséabonde qui s’en dégageait. Puis, avec intelligence, le brigadier examine les lieux plus soigneusement et aperçoit devant le puits des traces de sang encore très apparentes, malgré les dernières pluies. Plus de doute, un cadavre en putréfaction avait été jeté dans ce puits. Vacher n’a pas menti.
Le juge de paix du canton de Vaugneray, M. Goy, et le parquet de Lyon sont avisés aussitôt. À midi arrive M. Benoist(7), juge d’instruction, et, sur ses ordres, une fois la première enquête terminée, des pompiers sondent le puits vers deux heures. On jette plusieurs fois, sans succès d’ailleurs, un harpon et un crochet de boucher qui ne ramènent aucun débris à l’orifice. Soudain on aperçoit suspendus aux dents d’un crochet de puisatier(8), deux os retenus par des nerfs : c’est le tibia, la rotule et le fémur droit de la victime. Mais il se dégage du puits une odeur si infecte que l’on est obligé d’épuiser l’eau à l’aide de pompes et de jeter du phénol(9). Les pompiers Morin et Soudy vont commencer la recherche du corps. Le garde-champêtre, M. Peyre, fait apporter une caisse en bois de sapin dans laquelle on mettra les restes du cadavre. Le pompier Soudy descendant à l’intérieur du puits, remonte dans un panier une cuisse, des vertèbres, des loques et des fragments de chair en putréfaction. Un autre pompier descend à son tour par la corde à noeuds et va remplacer Soudy ; il est à demi asphyxié, mais revient à lui peu après, grâce aux soins des docteurs Royet et Burgat. Le panier, toutefois, descend et remonte faisant son lugubre travail jusqu’à la nuit.
Le lendemain matin, à huit heures, on continue les recherches. Soudy remonte bientôt avec un panier qui contient une partie de la colonne vertébrale. Un second ouvrier, M. Morin, descend àson tour ; mais la source qui alimente le puits oblige, par son débit abondant, les pompes à fonctionner continuellement. On parvient, toutefois, à trouver la tête qui est méconnaissable. Enfin, les ouvriers de M. Bardel, dont le dévouement est à citer, se décident à remuer la vase et découvrent le thorax du cadavre enfoui sous des pierres.
Les recherches continuèrent une partie de l’après-midi, sous les ordres de M. Rebillet, sous-lieutenant de gendarmerie à l’Arbresle, et on transporta les restes du corps à la faculté de médecine de Lyon, pour être soumis à l’examen des médecins.
Une grande incertitude règne sur l’identité du petit chemineau assassiné par Vacher.
D’après le portrait que ce dernier fait de sa victime, on croit reconnaître le jeune Claudius Beaupied, âgé de seize ans, échappé de sa famille et n’ayant pas reparu depuis plusieurs mois. La grand’mère de l’enfant, parmi les vêtements et le linge retrouvés à la ferme Dalmais, a cru reconnaître la blouse et la chemise de son petit-fils. Elle a dit aussi que l’enfant devait avoir sur lui un foulard qu’elle a décrit. Or, dans le puits on a retrouvé un foulard. Mais c’est surtout la chemise qui a frappé la pauvre femme, à cause du col consolidé avec un morceau de toile prise à une autre pièce. Elle se souvient parfaitement avoir, au mois de mai, remplacé le col d’une chemise du jeune homme.
Claudius Beaupied a été vu pour la première fois à Saint_genis-les-Ollières, le 26 décembre 1896. Il est resté jusqu’au 1er mars 1897 berger chez Mme Charavay, blanchisseuse. Cette dame dut le congédier parce qu’il soignait mal ses moutons. L’enfant se rendit alors chez ses parents, à Lyon, y resta quelques jours, puis s’enfuit et retourna à Saint-Genis. Comme il était sans travail et sans argent, il vécut quelque temps de charité. Au commencement du mois de mai, M. Thomas, propriétaire à Sainte-Consorce, fit sa rencontre au café Faure et lui offrit du travail. Quelques jours plus tard, Mme Beaupied, arrivant à Sainte-Consorce, emmena son fils.
Fin mai, M. Thomas rencontra à nouveau le jeune garçon. “Hé bien ! Que fais-tu, lui dit-il, tu es sur le “trimard(10)” ? “Oui, répondit l’autre, mais je ne suis pas le seul.” M. Thomas, lui désignant une femme, dit : “Voilà ta mère !”. L’enfant le crut et se sauva. Ce jour-là Beaupied portait un béret bleu, une blouse à carreaux bleus, un pantalon de velours, des galoches données par M. Thomas, et, roulée autour de son corps, une veste trop grande pour lui. Or, ces vêtements ressemblent fort à ceux trouvés dans le placard blanchi à la chaux de l’habitation Dalmais.
Depuis, malgré les recherches les plus sérieuses, Beaupied, qui s’éloignait peu de Lyon, n’a pas été vu. Tout fait croire que c’est bien lui la victime de Vacher.
Pour aller plus loin :
- Chemineau : Vagabond, mendiant errant dans les campagnes (Larousse).
- Après le crime du col de Malval : Ce crime sera détaillé dans un autre article.
- Montée de la Demi-Lune : Actuellement montée de Verdun
- Les Genetières : quartier de l’actuelle gendarmerie près de l’atrium.
- Le chemin d’intérêt commun du Point-du-Jour à Sainte-Consorce : ils auraient donc emprunté l’actuelle avenue du 8 mai 1945 en direction de la paroisse Saint-Claude de Tassin
- De nos jours, les établissements Bernard Matériaux, rue Mermet, ont remplacé la ferme Dalmais. Le puits évoqué dans l'article se trouve au niveau du portail de l'entrée.
- M. Benoist : Cyr Alphonse Henri Benoist, Né à Lyon en 1849, le juge Benoist est devenu magistrat en 1882, après avoir été successivement négociant, avocat puis chef de cabinet à la préfecture du Rhône. Après un premier poste de substitut du procureur de la République à Montluçon, il a été nommé à Lyon après un bref passage à Chalon-sur-Sâone. Il a jugé en 1894, Caserio, l’assassin du Président Sadi Carnot.(Source : Cour d’appel de Lyon)
- Puisatier : Le puisatier a pour profession le creusement et l’entretien des puits fournissant de l’eau (Wikipedia).
- Phénol : Découvert à l’état impur par Johann Rudolf Glauber en 1650 à partir de la distillation du goudron dehouille. Il le décrit comme “une huile vive et rouge de sang qui assèche et guérit tous les ulcères humides”. En 1834, Friedrich Ferdinand Runge parvient à l’isoler et le nomme alors acide carbolique. Il fut synthétisé et manufacturé en 1889 par la firme BASF. En médecine, il est surtout utilisé comme antiseptique puissant (Wikipedia).
- Trimard : (Argot) (Vieilli) Chemin, route.
Source de ce dossier : le rois des assassins par Laurent Martin - 1897 - Paris librairie universelle - B.M.L. Part-Dieu - Fonds ancien - Cote 04306467.
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