Contexte historique :
Même si différentes célébrations sont attachées à cette journée, notre contexte met en lumière cette fête comme étant celle du travail instituée à partir du XVIIIe siècle ; elle n'a pas toujours eu lieu à cette date précise et c'est encore le cas aujourd'hui comme, par exemple au Canada, aux États-Unis ou encore en Australie. Souvent réprimées, comme à Fourmies (Nord de la France) en 1891 qui a fait neuf morts, cette fête faisait l'objet de grands préparatifs sécuritaires comme vous pourrez le lire ci-dessous. En France, les manifestations ouvrières du 1er mai ont pris leur essor en 1890.
Lyon, vendredi 1er mai 1891.
La manifestation du 1er mai à Lyon
Les mesures d'ordre
Dès hier des mesures d'ordre très sérieuses, étaient prises pour empêcher que l'ordre soit troublé dans la rue. Elles sont à peu près semblables à celles de l'année dernière. L'autorité militaire et l'autorité civile ont mis sur pied les troupes, les gardiens de la paix et les agents. Comme lors de la dernière manifestation, toutes les troupes sont consignées. Cette nuit, dès deux heures du matin, des escadrons de cuirassiers, en tenue de campagne sont partis de la Part-Dieu(1), pour se rendre à leurs emplacements respectifs. Hussards et cuirassiers ont été répartis sur divers points de la cité. Au quartier reste le 99e de ligne ; le parc à fourrage fait l'objet d'une surveillance très active de la part des hommes des 14e et 15e sections.
Cinquante hommes de ces sections sont en outre détachés aux usines à gaz(2) de Perrache, de Vaise et de la Guillotière, afin d'assurer le service d'éclairage en cas d'absence de manœuvres. Les chasseurs à Pied gardent l'Hôtel-de-Ville. La garnison de Lyon a fourni également des hommes pour les villes voisines. Hier matin est parti un escadron de hussards en direction de Tarare et Thizy. Un détachement de cuirassiers a été dirigé sur Cours. Tous les hommes ont touché trois jours de vivres.
Une circulaire confidentielle adressée aux chefs de corps par le ministère de la guerre leur indique de mettre entièrement les troupes à la disposition de l'autorité civile. Elle recommande aussi aux militaires de montrer la plus grande modération. Hier matin, à 8 heures, le 158e a répété les manœuvres qu'il exécute aujourd'hui. Réuni sur la place Tolozan, il s'est formé en trois sections : la première a occupé la place de la Comédie, la seconde a occupé la place Saint-Clair(3) et la troisième est restée sur la place Tolozan. Chacune d'elles s'est divisée ensuite en petits détachements qui sont allés occuper les emplacements respectifs qui leur ont été désignés.
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D'autre part, la police urbaine a pris hier, des précautions les plus minutieuses. Les abords des cimetières de Vaise et de la Guillotière, les verreries seront plus spécialement gardées. M. Gratta, commissaire-adjoint de la sûreté, a opéré, dans la journée, une perquisition à l'Imprimerie Nouvelle, rue Ferrandière. C'est dans cette imprimerie qu'ont été imprimées les affiches de la Fédération(4). M. Gratta a saisi à la fois la “forme” et les affiches non apposées. Le directeur, M. Chouard, sera entendu aujourd'hui par M. Vial, Juge d'instruction. À sept heures du soir, M. Ramondene, accompagné de son secrétaire, s'est rendu rue Mortier et a fait des perquisitions dans une imprimerie. Il a saisi une certaine quantité d'affiches.
Le téléphone coupé
Un grave événement s'est produit hier soir. Les fils téléphoniques, au nombre de cent, mettant en communication la rive gauche du Rhône, ont été coupés dans la soirée à l'angle du cours de la Liberté et de la place du Pont. Les communications sur tous les points de la Guillotière se font par le bureau central téléphonique dont les câbles traversent le pont de la Guillotière et, de la place du Pont, se dirigent vers leurs postes respectifs : c'est à cette intersection que les câbles ont été coupés d'un seul coup.
De ce fait, la préfecture, les postes de police, les mairies et toute la rive gauche ont été subitement isolés. À 1 heure et demie, M. Cambon, préfet du Rhône, et M. Bouvagnet, secrétaire général de la police, ses sont rendus sur les lieux accompagnés par plusieurs ingénieurs des téléphones. Les dégâts sont assez importants, car on a cisaillé plus de cent fils. Les agents de la sûreté se sont mis immédiatement en campagne : malheureusement les recherches ont été difficiles, car c'est à onze heures qu'on s'est aperçu que les fils ne fonctionnaient plus et pendant deux heures on a cru à tout autre accident. Toute cette nuit des équipes d'ouvriers ont travaillé à réparer les fils.
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Ce matin, l'administration des téléphones a constaté qu'une trentaine de lignes de réseau téléphonique avaient été coupées pendant la nuit. Toutes ces lignes aboutissaient directement à la préfecture, et par conséquent isolaient complètement l'administration centrale de tous les autres services. Au nombre des lignes coupées est celle de l'Arsenal.
Les Ateliers
Quelques usines et ateliers ont fermé leurs portes ce matin. Aucun ouvrier n'a travaillé à la Buire aujourd'hui. Dans le quartier Grôlée, les ouvriers ont déposé leurs outils ce matin à neuf heures, après avoir choisi entre eux quelques délégués qu'ils ont envoyé auprès des pouvoirs publics.
À 1h. 1/2 sur la place Tolozan
De nombreux manifestants affluent du quai Saint-Clair et du pont Morand ; ils arrivent en rangs serrés et essaient de suivre le quai de Retz(5). Des gardes municipaux à cheval, et un détachement de hussards font le service d'ordre. Une cohue se produit, quelques cailloux sont lancés contre les agents de police qui emmènent huit individus dont la plupart ne sont que des passants grincheux et entêtés qui veulent traverser malgré tout. Les hussards sans charger et au pas débarrassent la place, et on n'entend que quelques huées. M. Pernel, commissaire de police use vis-à-vis des manifestants de toute modération. La foule se porte à la Guillotière où elle devra se réunir devant le cimetière, somme toute, au moment où nous mettons sous presse, la manifestation a conservé un caractère essentiellement pacifique. M. le préfet du Rhône, MM. les conseillers de préfecture, M. le maire de Lyon et ses adjoints siègent en permanence à la Préfecture et à l'Hôtel-de-Ville. La Bourse du travail est occupée intérieurement et extérieurement par un bataillon d'infanterie.
Cours du Midi(6)
Si dans tout Lyon, les manifestants n'avaient pas été plus nombreux que Cours du Midi, il était véritablement bien inutile de mobiliser le ban et l'arrière-ban des soldats et des gardiens de la paix. Le Cours est en effet bien gardé. Un escadron de cuirassiers occupe la manufacture des Tabacs, un autre escadron est dans la cour de l'intendance militaire, et un bataillon d'infanterie est logé dans la gare de Perrache. À midi, il n'y a encore absolument personne. Quelques ouvriers traversent le Cours, étonnés devant ce déploiement de forces. À une heure quelques agents sortent, le révolver à la ceinture, du poste de la manufacture des Tabacs. Ils font circuler les quelques curieux et à deux heures 1/2 il ne restait plus sur le quai de la Charité et le Cours du Midi que quelques agents se promenant mélancoliquement.
À COURS
Les ouvriers de Thizy et de Cours se sont réunis à midi dans un petit bois près de Cours où ils ont décidé de faire un petit repas pour fêter le premier Mai. Les rues de Thizy et de Cours, ont un air de fête. Les gens de la campagne sont venus, revêtus de leurs effets du dimanche, pour assister à la manifestation.
À ROANNE
La police de Roanne a arrêté, sur un ordre venu du parquet de Lyon, M. Pernolin, chez qui il avait été fait une perquisition hier soir.
Pour aller plus loin :
- En lieu et place du centre commercial de la Part-Dieu se trouvaient les casernes de la Part-Dieu qui étaient destinées à héberger des régiments de cavalerie et d'artillerie.
- Les usines à gaz étaient des lieux sensibles car elles servaient à l'éclairage de la ville.
- La place Saint-Clair est aujourd'hui la place Louis Chazette dans le 1er arrondissement.
- Il s'agit de la “Fédération nationale des syndicats” qui est une organisation syndicale française créée en 1886 à Lyon devenue Confédération générale du travail (actuelle CGT).
- Le quai de Retz est actuellement le quai Jean Moulin.
- Le Cours du Midi est l'actuel Cours de Verdun. Son immense esplanade située entre la place Carnot et la gare de Perrache a disparu au profit de l'actuel échangeur de Perrache.
Source : Le Courrier de Lyon - Bibliothèque de Lyon Part-Dieu
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