jeudi 14 mai 2015

Lyon, 1832, Après la révolte des Canuts, la Garde Nationale répond à l'ex-préfet Louis Bouvier du Molard

Lyon, 1er janvier 1832
La rédaction : Courrier rédigé par les officiers et gardes nationaux du 2e bataillon de la seconde légion en réponse aux accusations du Préfet de Lyon, M. Louis Bouvier du Molard, à propos de l'attitude de l'armée lors de la révolte des canuts de novembre 1831. 
La révoltes des Canuts (Novembre 1831) Source : Bibliothèque Nationale de France
Nous nous étions imposé jusqu'ici, par esprit de concorde, un rigoureux silence sur nos funestes événements du mois de novembre dernier, quoique des réclamations fussent à faire dans l'intérêt de la vérité. Mais aujourd'hui, que, sous l'apparence d'une justification; M. l'ex-préfet, Bouvier du Molard(1) ne craint pas de publier dans votre journal (le Constitutionnel et le Courrier Français - NDLR) les allégations les plus mensongères, il ne nous est plus permis de nous taire, et nous devons donc lui donner un démenti formel sur deux points :
1° Il n'est pas vrai que, le 21 novembre(2) au matin, les ouvriers soient descendus en ordre, deux à deux, et sans armes, par la rue de la Grande-Côte, ni que la garde nationale ait pris l'initiative en tirant sur eux. Nous nous trouvions sur ce point avec notre bataillon, le second de la deuxième légion. Aucun de nos fusils n'était chargé, une inspection régulière ayant été faite à rangs ouverts sur la place d'armes du bataillon. La première compagnie de grenadiers fut assaillie par les ouvriers en foule, et reçut une décharge qui mit le capitaine et trois hommes hors de combat, avant qu'il fût possible de charger une seule arme.
2° Il n'est pas vrai que M. Bouvier du Molard se trouvât, dans ce moment-là, au bas de la Grande-Côte, à la tête de la première colonne. Il n'y est venu qu'une heure environ après le commencement du feu.
Il y a de la perfidie de la part de M. Bouvier du Molard, lorsqu'il s'étonne que la garde nationale fût pourvue de cartouches, et qu'il se demande comment elle se les était procurées. Il ne doit pas ignorer que, par ordre de l'état-major, reçu à neuf heures et demi du matin, MM. les capitaines de compagnies avaient distribué le peu de celles qui étaient légalement à leur disposition depuis plus d'un an. Ce qu'il doit bien savoir surtout, c'est que vers les onze heures, lorsque le sang avait déjà coulé, interpelé avec vivacité à l'Hôtel-de-Ville, par deux officiers de notre bataillon, comment il se faisait que l'on compromit ainsi les gardes nationaux, sans leur donner les moyens de se défendre, il répondit que, dès la veille, il avait ordonné que l'on fit prendre à la Poudrière(3) la quantité nécessaire de cartouches.
Nous vous prions d'ajouter à l'appui de notre assertion, les détails qui suivent sur les mouvements de notre bataillon :
Partis de l'Hôtel-de-Ville à dix heures et demie du matin, nous prîmes position dans la rue des Capucins, où se trouvait un commissaire de police en écharpe, qui était chargé, nous dit-il, de faire les sommations voulues par la loi, si des attroupements se présentaient. C'est alors que l'adjudant-major qui était auprès de la sentinelle placée au bas de la rue de la Grande-Côte, nous annonça l'arrivée en foule de gens armés de fusils, de pistolets, de sabres et de bâtons. Aussitôt le bataillon, au commandement de son chef, se porta au pas accéléré, tambour battant, vers cette rue où le capitaine de la première compagnie de grenadiers forma son peloton ; puis par un commandement : À droite-conversion, se trouva en occuper tout le travers.
Cette conversion était à peine achevée, que les assaillants abattirent leurs fusils pour faire feu. Les armes des gardes nationaux n'étant pas chargées, on commanda de croiser la baïonnette. À peine ce commandement était-il prononcé, que le capitaine et deux hommes furent blessés, et un quatrième tué par une décharge de coups de fusils. Les armes furent chargées seulement alors, et les assaillants repoussés jusqu'à la hauteur de la cour du Soleil(4), où nous prîmes la position dans laquelle nous trouvèrent, une heure plus tard, MM. l'ex-préfet et le général Ordonneau, suivis du premier bataillon de la seconde légion et d'une compagnie de la ligne. 
Voilà, Monsieur le Rédacteur, les faits dans toute leur exactitude. Nous espérons que vous contribuerez à faire connaître la vérité en insérant notre réclamation dans l'un de vos prochains numéros.
Officiers, sous-officiers et gardes nationaux.
Pour aller plus loin :
  1. Bouvier Du Molard, Louis (1789-1855) : Préfet de Lyon en 1831, lorsque la révolte des canuts éclata.
  2. 21 novembre 1831 : Début de l'insurrection plusieurs centaines de tisseurs parcourent la Croix-Rousse, qui est alors une commune indépendante. Ils obligent ceux qui travaillent encore à arrêter leurs métiers à tisser, puis descendent de la Croix-Rousse par la montée de la Grande-Côte jusqu’à la rue Vieille-Monnaie. La Garde nationale, composée principalement de négociants et qui barre le passage, fait feu. Trois ouvriers sont tués, plusieurs sont blessés. Les canuts remontent à la Croix Rousse et alertent la population en criant : “Aux armes, on assassine nos frères.” On s’arme de pioches, de pelles, de bâtons, quelques-uns ont des fusils. Des barricades sont dressées et les ouvriers marchent sur Lyon, drapeau noir en tête, et bientôt, les tisseurs de la Croix-Rousse sont rejoints par ceux des Brotteaux et de la Guillotière.(Wikipedia)
  3. La Poudrière : ce magasin de poudres explosives utilisées par l'armée était installé dans l'actuelle rue de la Poudrière (1er arrondissement), au pied de la Croix-Rousse. Elle a été attaquée pendant la révolte des canuts de novembre 1831, les soldats ont fermé la Poudrière après avoir jeté la poudre dans l'eau.
  4. Cour du Soleil et rue Burdeau : Voici ce qu’en dit Louis Maynard dans son Dictionnaire des lyonnaiseries : “Jusqu’au 8 janvier 1895, cette rue était désignée sous le nom de “rue du Commerce”. Elle n’était habitée, primitivement, que par des ouvriers en soie (des canuts) qui chaque jour allaient et venaient pour prendre et rendre du travail chez les négociants ; cela créait un grand mouvement auquel, sans doute, la rue devait son nom.
    La rue du Commerce fut commencée en 1810 et prolongée en 1826. Elle reçut ce nom par délibération du Conseil municipal du 18 juin 1829. Elle commençait à la côte Saint-Sébastien et se terminait, alors, à l’occident de l’église Saint-Polycarpe. Elle fut prolongée jusqu’à la Grand’Côte en 1838. Le tronçon dénommé “cour du Soleil” à l’entrée de l’ancien jardin des Plantes, lui a été adjoint par arrêté préfectoral du 17 février 1855, et le prolongement au travers du jardin fut opéré en 1860.
Source : Le Courrier de Lyon - Bibliothèque de Lyon Part-Dieu 

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